Saviez-vous qu’un simple oubli d’information au conjoint d’un associé marié peut conduire à l’annulation d’un apport ou à l’entrée imprévue d’un nouvel associé dans une SARL, une SCI ou une SNC ?
L’article 1832-2 du Code civil impose des règles strictes concernant les droits du conjoint dans les sociétés à parts sociales. Pourtant, ces obligations sont souvent méconnues ou négligées, ce qui peut engendrer des litiges et insécurités juridiques majeures.
Dans cet article, nous détaillons les implications concrètes du régime matrimonial sur la détention des parts sociales et vous expliquons les précautions à prendre afin de sécuriser les opérations.
L’impacte du mariage sur les parts sociales
Le choix du régime matrimonial n’est pas anodin en matière de droit des sociétés. Il conditionne directement :
- La propriété effective des parts sociales
- Le droit du conjoint à revendiquer la qualité d’associé
- Les conditions de cession ou de transmission des parts
En droit français, les époux peuvent choisir entre quatre régimes matrimoniaux, chacun présentant des spécificités :
Régime matrimonial 2058_b2c660-2b> | Caractéristiques 2058_2aad29-a3> | Conséquences sur les parts sociales 2058_de5dbe-56> |
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Communauté réduite aux acquêts (régime légal) 2058_4cdc97-09> | Les biens acquis et revenus perçus pendant le mariage sont communs. Les biens acquis avant mariage ou reçus par donation/succession sont propres. 2058_27fd88-e2> | Les parts acquises avec des fonds communs sont des biens communs soumis à l’article 1832-2. 2058_310cd3-76> |
Séparation de biens 2058_fc03f0-0d> | Chaque époux conserve ses biens personnels. 2058_f35a5a-43> | Les parts sociales appartiennent exclusivement à l’époux qui les a acquises. 2058_4cc5cc-ad> |
Participation aux acquêts 2058_82bc67-4d> | Fonctionne comme une séparation de biens durant le mariage, mais lors de la dissolution (divorce ou décès) chaque époux a droit à la moitié des acquêts constitués par l’autre (article 1569 du Code civil). 2058_97bfbd-dd> | Les parts sont propres pendant le mariage, mais leur valeur pourra être prise en compte lors de la liquidation du régime. 2058_830675-cb> |
Communauté universelle 2058_859323-92> | Tous les biens sont communs, qu’ils aient été acquis avant ou pendant le mariage (article 1526 du Code civil). 2058_aec133-81> | Toutes les parts sociales sont présumées communes et soumises à l’article 1832-2. 2058_8c502c-50> |
Biens propres vs biens communs : comprendre la distinction
Au-delà du régime matrimonial lui-même, la qualification des biens utilisés pour acquérir des parts sociales est déterminante. Cette distinction fondamentale conditionnera l’application ou non de l’article 1832-2 du Code civil.
Apport d’un bien propre
Lorsqu’un époux apporte un bien propre (ou utilise des fonds propres), il conserve une liberté d’action totale :
- Aucune obligation d’informer son conjoint
- Les parts sociales reçues en contrepartie restent des biens propres
- Liberté de cession sans accord du conjoint
Recommandation pratique : Pour préserver cette qualification de bien propre, il est essentiel de conserver toutes preuves de l’origine des fonds utilisés (relevés bancaires, attestations, documentation de donation/succession) lorsque l’époux est marié sous un régime de communauté.
Apport d’un bien commun
À l’inverse, l’apport d’un bien commun (ou l’usage de fonds communs) déclenche l’application de l’article 1832-2 :
- Obligation d’information préalable du conjoint
- Les parts sociales acquises deviennent des biens communs
- Le conjoint peut revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts
- Risque d’annulation de l’apport en cas de non-respect du formalisme
Cette distinction est souvent négligée dans la pratique, notamment lorsque les fonds proviennent du compte joint des époux ou des revenus professionnels perçus pendant le mariage, qui sont présumés communs dans le régime légal.

L’obligation légale d’information du conjoint
L’article 1832-2 du Code civil impose d’informer le conjoint avant tout apport ou acquisition de parts financé par des biens ou fonds communs.
Formalisme de l’information
La preuve de cette information doit faire l’objet d’une mention explicite dans l’acte d’apport ou d’acquisition de parts.
Il est par ailleurs recommandé d’annexer le courrier d’information à l’acte.
Une simple information orale ou la présence du conjoint lors de la signature de l’acte, sans signature de sa part, ne suffit pas à satisfaire cette obligation légale.
Sanctions en cas de défaut d’information
Les conséquences d’un manquement à cette obligation sont sévères :
- Le conjoint peut demander l’annulation de l’acquisition des parts
- Délai de prescription de deux ans à compter du jour où le conjoint a eu connaissance de l’apport (article 1427 du Code civil)
- Risque de déstabilisation de l’actionnariat plusieurs années après l’acquisition des parts
La possibilité pour le conjoint de revendiquer la qualité d’associé
Au-delà de la simple information, le dispositif de l’article 1832-2 confère au conjoint un droit à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales reçues en contrepartie de l’apport. Ce mécanisme représente un risque majeur pour la stabilité de l’actionnariat.
Modalités d’exercice du droit de revendication
La loi distingue deux situations selon le moment où s’exerce cette revendication :
- Si cette revendication est faite lors de l’apport (ou de l’acquisition des parts), le conjoint devient automatiquement associé et reçoit la moitié des parts sociales sans être soumis à l’agrément des associés.
- En revanche, si la revendication est faite ultérieurement, le conjoint peut être soumis à l’agrément des associés si les statuts le prévoient expressément.
Cette distinction temporelle est essentielle et justifie l’importance d’obtenir une position claire du conjoint dès l’origine de l’opération.
Efficacité des clauses d’agrément face au conjoint
La jurisprudence considère qu’une clause d’agrément générale visant « toute cession de parts à des tiers » ne suffit pas à bloquer l’entrée du conjoint dans la société.
Pour être opposable au conjoint, la clause d’agrément doit viser expressément et spécifiquement le cas de la revendication de la qualité d’associé prévue à l’article 1832-2 du Code civil.
Comment sécuriser la gestion des parts dans le couple marié
Face à ces risques juridiques, une approche méthodique et rigoureuse s’impose. L’expérience montre que certaines erreurs sont récurrentes dans la pratique et peuvent être facilement évitées grâce à un protocole structuré.
Erreurs courantes à éviter
La sécurisation juridique commence par l’identification des pièges à éviter. Deux erreurs sont particulièrement fréquentes et préjudiciables :
Erreur #1 : Ne pas informer officiellement le conjoint
De nombreux associés informent leur conjoint oralement, mais ne conservent aucune preuve écrite. Résultat ? En cas de divorce ou de conflit, le conjoint peut contester et revendiquer la moitié des parts.
Le danger est d’autant plus grand que la preuve de l’information repose sur celui qui prétend l’avoir donnée, et non sur celui qui conteste l’avoir reçue.
Erreur #2 : Ne pas faire renoncer le conjoint à la qualité d’associé
Même lorsque l’information est correctement délivrée, on néglige souvent de faire exprimer au conjoint sa position quant à sa volonté de revendiquer ou non la qualité d’associé. Résultat ? Il peut décider d’exercer son droit même des années plus tard, bien souvent dans un contexte de tension conjugale.
Or, il est possible de le faire renoncer à la qualité d’associé dès l’acquisition des parts. Cette renonciation est définitive et ne pourra pas faire l’objet d’une rétractation de sa part.
Réflexes à adopter pour sécuriser les opérations
Pour éviter toutes complications et assurer la stabilité de l’actionnariat, il est recommandé d’appliquer systématiquement ce protocole en 3 étapes :
1. Audit préalable du régime matrimonial de l’associé
La première étape consiste à réaliser un diagnostic précis de la situation matrimoniale de chaque associé concerné :
Cette phase est fondamentale car elle conditionnera l’application ou non de l’ensemble du dispositif de l’article 1832-2.
2. Formalisation rigoureuse de l’information du conjoint
Lorsque l’apport implique des biens ou fonds communs, la formalisation de l’information devient obligatoire :
3. Expression formelle de la position du conjoint
Au-delà de la simple information, il est essentiel d’obtenir une position claire et documentée du conjoint :
Cette formalisation permet de verrouiller définitivement la situation et d’éviter les revendications tardives.
Étude de cas : quand l’article 1832-2 bouleverse l’actionnariat d’une entreprise familiale
Pour illustrer les risques concrets liés à l’application de l’article 1832-2 du Code civil, examinons le cas suivant, inspiré d’un contentieux réel :
Cas pratique : Une SARL familiale est constituée par trois frères, chacun détenant un tiers des parts. L’un d’eux, marié sous le régime de la communauté, utilise des fonds communs pour sa souscription au capital, sans informer formellement son épouse.
Dix ans plus tard, suite à une procédure de divorce, l’épouse découvre l’existence de la société et revendique la qualité d’associée pour la moitié des parts de son mari. Les statuts comportent une clause d’agrément générale pour les « cessions à des tiers » mais aucune clause spécifique pour le conjoint revendiquant la qualité d’associé.
Conséquences : Le tribunal reconnaît le droit de l’épouse à devenir associée sans agrément des autres associés, car la clause ne visait pas expressément le cas de l’article 1832-2. L’actionnariat est bouleversé et l’équilibre familial est rompu.
Ce litige aurait pu être évité par l’application rigoureuse du protocole de sécurisation présenté dans cet article.
En résumé
La gestion des parts sociales dans une SCI, une SARL ou une SNC dépend étroitement du régime matrimonial de l’associé concerné. Un oubli d’information du conjoint ou une mauvaise rédaction des statuts peut entraîner d’importantes complications, notamment en cas de divorce.
Cette dimension matrimoniale du droit des sociétés, souvent négligée, constitue pourtant un facteur déterminant de la stabilité de l’actionnariat et de la sécurité juridique des opérations sociétaires.
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